« Ensemble pour l’Europe » : Les mouvements pour une Europe spirituelle

Première rencontre d’Ensemble pour l’Europe à Stuttgart, 2004

Par Martin Hoegger[1]

Depuis quelques années nous assistons à un nouveau développement des relations entre les différents mouvements et communautés. Également entre ceux-ci et les Églises. A quatre reprises, à Stuttgart en 2004 et 2007, à Bruxelles en 2012 et à Munich en 2016, plus de 300 groupements chrétiens ont affirmé et célébré leur volonté d’être « Ensemble pour l’Europe ».  

Ils veulent ainsi répondre aux injonctions apostoliques à porter ensemble le ministère du Christ, en valorisant leurs différentes expériences de l’Esprit, plutôt que d’être en concurrence. Ils s’engagent aussi pour la construction d’une Europe des valeurs dans l’Église et la Société. Une Europe plus large que l’Union européenne avec son projet politique et économique.

En Suisse, des communautés et des mouvements se rencontrent régulièrement dans le même esprit. Personnellement je suis membre du comité suisse d’Ensemble pour l’Europe (qui en Suisse s’appelle « En Chemin Ensemble »)

Avec mon épouse Chantal, j’ai participé au premier rassemblement à Stuttgart, en 2004 et au quatrième à Munich. C’étaient des rencontres inoubliables. Des grands moments du Corps du Christ en Europe ! Le deuxième comme le troisième étaient retransmis dans plus de 150 villes en Europe. En Suisse romande, le centre œcuménique de Genève et la communauté de Saint Loup ont accueilli, à ces occasions, des représentants de divers mouvements et des Églises en Suisse romande.

A. Événements marquants ayant ouvert la voie à Ensemble pour l’Europe

La rencontre de Stuttgart n’est pas née de la dernière pluie. A l’intérieur du protestantisme allemand, les différents mouvements se rencontrent régulièrement depuis 1969. Ils ont formé la majorité des 175 mouvements et communautés présents à Stuttgart en 2004.

Dans le catholicisme, à la veille de Pentecôte 1998, le pape Jean-Paul II a appelé les mouvements catholiques à la communion. Appel qui a été suivi par l’organisation de nombreuses rencontres entre mouvements catholiques.

En 1999 une première rencontre entre responsables de mouvements a eu lieu au lendemain de la signature sur la justification par la foi, à Augsbourg.

Chiara Lubich, la présidente du mouvement des Focolari, a dit alors une parole restée dans la mémoire : « Ne faisons pas de programme nous-mêmes ! La partition est écrite dans le ciel ; mettons-nous ensemble à l’écoute de l’Esprit saint et faisons ce qu’il nous dit ». L’année suivante, avec d’autres responsables de mouvements catholiques, elle a été invitée au congrès annuel des responsables des mouvements protestants qui se rassemblent chaque année depuis 1969. Ce fut un temps de grâce avec des échanges de pardon.

En 2001 à Munich, des mouvements protestants, évangéliques et catholiques se sont rassemblés. La rencontre de Stuttgart est le fruit de l’amitié née entre les responsables de ces mouvements. S’y sont ajoutés quelques mouvements orthodoxes.

B. Les fondements d’Ensemble pour l’Europe

  • Le pacte d’amour réciproque 

Sur la base du commandement nouveau de Jésus, les responsables ont été conduits à faire un « Pacte d’amour réciproque ». Il a été fait pour la première fois le 8 décembre 2001 dans l’église S. Matthieu à Munich. Et il est redit à chaque rencontre. Le but premier de ce pacte consiste à mettre le Christ au cœur de cette aventure. Sa présence au milieu de nous ouvre les cœurs pour accueillir l’autre.

Voici le pacte tel que nous l’avons dit ensemble lors de la rencontre des responsables des divers comités nationaux qui vient d’avoir lieu à Augsbourg (en novembre 2019)

« Jésus nous disons oui à ton commandement et aujourd’hui nous voulons renouveler notre pacte d’amour réciproque. Aimons-nous les uns les autres comme tu nous as aimés. Nous te demandons que l’Esprit Saint renforce notre amour et que tu sois au milieu de nous, comme tu l’as promis. Œuvre en nous et à travers nous quand nous travaillons ensemble pour ton Royaume ».

  • Les Charismes

Un charisme est une manière de vivre l’Évangile que l’Esprit saint suscite pour répondre à un besoin dans un domaine précis : les pauvres, les jeunes…

Chaque mouvement a un charisme particulier. La beauté de l’Église se révèle quand ils sont mis ensemble

Les communautés et les mouvements expriment la dimension charismatique de l’Église. Ils interpellent sur la place de l’Esprit saint dans la vie de l’Église. Comment redécouvrir le rôle de l’Esprit saint pour le renouvellement de l’Église ?

  • Un but

En mai 2002, après avoir échangé le pacte d’amour réciproque, les responsables des mouvements comprirent que leur communion devait avoir un but. Suite à une rencontre à la communauté de S. Egidio à Rome, devant une affiche affirmant « une autre Europe est possible » ils réalisent que leur communion sera pour témoigner de l’Évangile en Europe. C’est ainsi qu’on a appelé cette communion « Ensemble pour l’Europe »

  • « Une seconde vocation »

Ces amis viennent aujourd’hui d’environ 300 mouvements, dont 60 forment le noyau dur. Ils s’engagent à diffuser l’esprit de communion dans leur propre mouvement ou communauté. Tous les ans ces amis se rencontrent à l’échelon européen et ont intégré progressivement une « seconde vocation ».

Celle-ci est de servir une cause qui dépasse leur propre mouvement. C’est l’engagement pour la communion, à promouvoir une culture de collaboration et de rencontre, où l’on se déplace sur le terrain de l’autre. Bref, vivre une spiritualité de communion et d’encouragement.

  • L’amitié

Ensemble pour l’Europe est une école d’amitié entre mouvements. « Je vous appelle amis », dit Jésus (Jean 15,15). Il nous établit à la fois comme ses amis et comme amis les uns des autres. Ce don de l’amitié que vit, par exemple, la communauté de S. Egidio envers les pauvres, a bénéficié au mouvement Ensemble pour l’Europe tout entier. L’amitié aide à grandir spirituellement et à affronter les difficultés de la vie. Ce christianisme amical est créatif.

C. Les grandes rencontres d’Ensemble pour l’Europe

  • Stuttgart (2004, 2007)

Le premier rassemblement s’est tenu le 8 mai 2004 à Stuttgart avec 10’000 participants issus de 150 communautés et mouvements. Andrea Riccardi, le fondateur de la communauté de S. Egidio, a notamment dit : « L’Europe est aussi l’Europe des mouvements chrétiens. Ces mouvements sont transversaux : du Portugal à l’Ukraine, au-delà même des frontières de l’Union, ils réunissent autour d’une spiritualité et d’un élan vital d’amour les citoyens de divers pays ».

  • De Bruxelles…à Saint Loup (2012)

Le 12 mai 2012, les mouvements se sont à nouveau rencontrés. Cette fois à Bruxelles, lieu de plusieurs institutions européennes.

En même temps cette rencontre a été diffusée en direct dans plus de 150 endroits. En Suisse romande au centre œcuménique de Genève et à Saint Loup, avec une vingtaine de mouvements. Je voudrais évoquer celle de Saint Loup, à laquelle j’ai collaboré.

Les Mouvements ont été présentés avec des symboles, qui illustrent de manière très parlante le charisme de chaque mouvement.

Le message final de la rencontre de Stuttgart en 2007 comportait « 7 oui », invitant à agir comme personnes et communautés en nous concentrant sur les enjeux de la vie quotidienne. A Saint Loup, des membres de 7 communautés ou mouvements les ont repris dans des ateliers :

  1. Oui à la dignité de la vie avec la Communauté de St-Egidio
  2. Oui au mariage et à la famille avec Jeunesse en Mission/Ressources pour la famille
  3. Oui à la création avec le Mouvement franciscain laïc
  4. Oui à une économie fondée sur la dignité humaine avec les Focolari
  5. Oui à la solidarité avec les plus pauvres avec l’Armée du Salut
  6. Oui à la paix avec le mouvement Interpeace.
  7. Oui à la responsabilité sociale avec les Unions Chrétiennes Féminines
  • La rencontre de Munich

Des membres de plus de 350 mouvements et communautés sont venus à Munich, du 30 juin au 2 juillet 2016. Deux signes des temps soulignent l’importance de cette rencontre :

  • L’Europe a besoin de spiritualité
  • Les 500 ans de la Réformation : un appel à la Réconciliation

Elle fut conclue par une manifestation en plein air sur le Stachus, la principale place de Munich.

D. Trois leçons de ces rencontres d’Ensemble pour l’Europe

  • La communion entre les mouvements et les Églises

Il me semble que quelque chose de nouveau s’est manifesté dans ces rassemblements. Cette nouveauté tient, à mon sens, en deux sortes de communion. Celle entre les mouvements et celle entre les mouvements et les responsables d’Églises. Plus de 50 évêques et présidents de différentes Églises étaient présents en 2004 et encore plus dans les rencontres suivantes. Des messages du pape Benoit XVI et du patriarche de Constantinople Bartholomée ont été aussi transmis.

Dans la rencontre de Saint Loup, la pasteure Adèle Kelham, présidente de la Communauté de travail des Églises chrétiennes de Suisse et Jean-Jacques Meylan, président de la CECCV ont fait une allocution au début de la rencontre. L’Abbé Chardonnens, vicaire général du diocèse de Lausanne, Fribourg et Genève a participé également, ainsi que d’autres pasteurs des Églises du canton de Vaud.

N’est-ce pas le même Esprit qui répand ses charismes dans le peuple de Dieu et qui suscite les ministères ordinaires pour construire l’Église ? Le ministère ordonné n’est-il pas lui-même un charisme ?

  • Une étape importante du mouvement œcuménique

 Je considère ces rencontres d’Ensemble pour l’Europe comme une étape significative du mouvement oecuménique. Par ce mouvement, qui est plus large que toute expression oecuménique institutionnelle, parfois en crise ou en recherche d’une nouvelle configuration, l’Esprit saint surmonte les divisions, lève les barrières, établit une communion bienfaisante et rafraîchissante entre chrétiens de diverses Églises et entre leurs responsables.

Si les mouvements sont « Ensemble pour l’Europe », ce n’est pas pour former un front « contre », mais pour partager ce qu’ils ont reçu du Seigneur. De leur communion renforcée pourront naître de nouvelles initiatives.

A Augsbourg, en novembre 2019, à l’occasion des vingt ans d’Ensemble pour l’Europe, Gerhard Pross, directeur des Unions chrétiennes des jeunes gens à Esslingen et modérateur de ce réseau a esquissé les perspectives d’avenir  : « Dans le climat actuel de déception, de perte de crédibilité des Églises et de manque d’optimisme, il y a une grande opportunité pour témoigner des expériences positives entre ministères et charismes, entre hiérarchies ecclésiales et expressions charismatiques de la vie dans les mouvements. Dans ces temps difficiles, nous voulons être un signe prophétique pour une coexistence crédible en Europe ».

  • Donner une âme à l’Europe. La rencontre avec les politiques

Ensemble pour l’Europe a permis aussi un dialogue fécond avec le monde politique. Beaucoup de mouvements sont nés de l’engagement de laïcs ; ils s’intéressent aux conditions sociales, économiques et politiques.

Lors de la rencontre de Saint Loup en 2012, Laurent Wehrli, syndic de Montreux et conseiller national a montré que la peur de l’autre n’est pas bonne conseillère : « Dans un climat d’insécurité, avec l’exclusion de l’autre, les chrétiens doivent dépasser les peurs ». Il a souligné l’importance de ne pas éliminer nos différences au sein de la communauté chrétienne. Les douze disciples étaient très différents ; le projet de Jésus tient compte de nos différences et de nos défauts : « Ensemble ne signifie pas fusion, mais ouverture et collaboration ».

 E. Une expérience personnelle

 Comme membre du comité suisse d’Ensemble pour l’Europe (en Suisse « En Chemin ensemble »), je vis concrètement la réconciliation entre chrétiens de diverses Églises. Ensemble nous pouvons prier, partager joies et tristesses, nous soutenir, cheminer ensemble.

En 2017, nos forces étaient consacrées à une rencontre à Flueli Ranft autour de la personne de Nicolas de Flue, dont on fêtait le 600e année de sa naissance. Rencontre marquante : autour de cette figure extraordinaire qui a vécu l’Évangile de manière radicale on découvrait une communion. La sainteté unit les chrétiens divisés !

Voici une petite expérience.

Quand m’est arrivée la nouvelle des attentats de Paris en novembre 2015, je participais à une rencontre œcuménique internationale en Hollande d’Ensemble pour l’Europe pour préparer la rencontre de Munich. Nous étions une centaine de chrétiens de 20 pays et de toutes les Églises. Après un temps de silence, nous avons prié pour les victimes et leurs familles.

Dans cet être ensemble il y avait une lumière et une force. Celles de la présence du Ressuscité parmi nous qui se manifestait. J’ai perçu clairement trois appels. D’abord d’approfondir mon union avec Dieu. Puis de chercher la plus grande communion possible entre chrétiens de toute l’Europe. Cette communion donne de mieux discerner ce que Dieu veut nous dire à travers les événements. Troisièmement de créer des ponts et d’aller à la rencontre des autres, quels qu’ils soient, chrétiens ou non.

Pour aller plus loin, le site d’Ensemble pour l’Europe :  https://www.together4europe.org/fr/


[1] Le pasteur Martin Hoegger a exercé son ministère dans plusieurs paroisses de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud, où il a aussi été responsable de l’œcuménisme, après avoir dirigé la Société biblique suisse. Il est actuellement aumônier de la Communauté de Saint Loup et membre de la communauté des Focolari


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